Héros prolifique, pour ne pas dire boulimique, Kirby alterne les aventures à vocation expérimentale (tactiles ou mouvantes) et celles basées sur sa recette traditionnelle – pour mémoire de la plateforme pure et pas dure, où notre boule de gomme tire ses pouvoirs des ennemis avalés au passage. Difficile du coup de savoir à quelle sauce on va être mangé, même si avec Kirby Triple Deluxe, l’appellation semble déjà en dire long sur le menu. A moins bien sûr que le bedon du facétieux Kirby ne renferme de belles surprises pour sa première escapade sur 3DS…
Dès le menu, Triple Deluxe rappelle un certain Kirby Super Star, ou plutôt Hoshi no Kirby Super Deluxe de son petit nom nippon. En effet il comporte plusieurs modes, initialement au nombre de trois, les espaces vides ne laissant aucun doute quant à la présence de modes supplémentaires à déverrouiller. Comme le mode Histoire constitue le plat de résistance de cet opus, intéressons nous d’abord aux autres qui font figure de hors-d’oeuvre, voire d’amuse gueule dans le cas des « Combats Kirby ». Ceux-ci se résument à des batailles en arènes, dans la lignée des Smash Bros. Une filiation légitime dans la mesure où le directeur de cette série, Masahiro Sakurai, est aussi le papa de Kirby. Cela explique d’ailleurs que notre héros soit l’un des guerriers les plus redoutables de Smash Bros., tout du moins dans le cru N64. On ne le répètera jamais assez, derrière cette bouille rondouillette se cache une arme de destruction massive : d’une part, Kirby est capable de planer à l’infini en gonflant sa bedaine, un talent surpuissant dans le domaine de la plateforme, y compris au sein de l’espace confiné des arènes. D’autre part, cette boule de pâte à modeler polymorphe dispose d’un énorme arsenal de pouvoirs, son panel d’actions changeant selon l’ennemi absorbé.
Smash Kirbros.
Pas besoin donc d’une kyrielle de personnages, puisque les différents costumes de notre talentueux transformiste suffisent à varier les configurations, en dépit d’une sélection réduite à dix dans ce mode (mais avec le fantôme en exclusivité). Et avec le florilège d’objets et autres power-ups qui tombent aléatoirement au beau milieu du ring pour épicer les choses, ces Combats Kirby ressemblent vraiment à une appétissante mise en bouche pour le futur Super Smash Bros. a fortiori au regard de dernier adversaire du tournoi solo. En prime, une seule cartouche est nécessaire pour en profiter à quatre, bien que les invités doivent se contenter de deux malheureux pouvoirs. De quoi se demander pourquoi le choix d’arènes n’a pas été restreint à la place, aussi dynamiques soient ces sept environnements… Écartons l’hypothèse mercantile, car ce mode franchement sympathique au demeurant représente l’unique facette multi joueur de Kirby Triple Deluxe, une décision relativement sage compte tenu des expériences conviviales mitigées de la série par le passé. Toutefois d’aucuns y verront un manque d’ambition, ou de prise de risque de la part d’HAL Laboratory. Le studio n’a pourtant pas eu froid aux yeux, ni aux oreilles, en s’aventurant dans le Rhythm Game par l’intermédiaire du mode Tam-Tam DaDiDou !
PouPouPiDou ♫
Il consiste à sauter de tambour en timbale aux commandes du Roi DaDiDou, l’objectif étant naturellement d’effectuer ces bonds avec le tempo optimal afin de glaner les pièces en hauteur. La moindre erreur casse en effet le rythme, et du coup la combo, condition sine qua non pour atteindre les sommets, qui plus est quand on marque le contretemps (avis aux véritables mélomanes). Pire, notre souverain manchot peut carrément tomber dans le vide, ce qui met fin brutalement à la représentation. Or un concert d’ennemis et autres embûches l’attendent, méticuleusement placés sur sa route. Et pour cause, cette balade musicale reste avant tout une question de timing, malgré la possibilité de contrôler librement l’avancée de DaDiDou avec le pad, autrement dit de prendre éventuellement son temps tant que l’on surveille le chrono. L’obtention de médailles d’or requiert donc de l’entraînement et un certain talent, récompensé par un niveau bonus qui vient étoffer ce programme un peu succinct, avec son trio de morceaux. Il s’avère cependant réjouissant d’incarner une nouvelle fois DaDiDou, surtout que l’ennemi juré de Kirby ne joue pas le rôle du grand méchant dans cette histoire…
Return to Flower Land
Un vilain sbire le kidnappe dès l’introduction, Kirby s’envolant immédiatement à sa rescousse. Il faut dire que notre héros se réveille dans les nuages, après que la tige d’une sorte de haricot magique ait hissé sa maison jusqu’aux cieux. L’aventure se déroule ainsi à travers les îlots flottants de Floralia, un monde aux airs très prononcés de Dream Land. D’autant que ce voyage s’accompagne parfois de mélodies familières remixées avec brio, tandis que les nouvelles compositions de cette fabuleuse bande son se distinguent par leurs tonalités contemplatives ou inquiétantes, sans trop s’éloigner de l’ambiance guillerette et festive habituelle de la saga. Honnêtement, on ne saurait se plaindre de l’impression de déjà vu que suscite cette épopée, visuellement très proche de Kirby’s Adventure sur Wii. Toujours aussi débordant de couleurs aux délicieux tons pastels, Triple Deluxe partage la même représentation en 2,5D, la 3D auto stéréoscopique en plus ! Et cette dernière n’a pas qu’une fonction esthétique, quoiqu’elle apporte un cachet indiscutable aux graphismes, au point de ne pas trop regretter la finesse de la 2D. Ce mode d’affichage donne beaucoup de volume aux décors, dont la profondeur est encore rehaussée par l’usage de multiples parallaxes, quelquefois joliment floutés à l’avant plan.
Warp zones tridimentionnelles
L’architecture des niveaux et leur mise en scène reposent souvent sur ces différentes perspectives, des « Étoiles Warp 3D » permettant de passer du premier à l’arrière plan. Bien entendu, certains ennemis ne se privent pas d’effectuer ces allers-retours pour attaquer Kirby, ou lui envoyer des projectiles. Idem pour les pièges et les éléments interactifs qui s’appuient sur ces mécaniques, de sorte que le danger est susceptible de venir de partout. Certes l’idée n’est pas foncièrement neuve, mais elle avait rarement été exploitée de façon si spectaculaire, et ingénieuse. Prenons l’exemple de la barre laser, dont la portée s’étend à toute la profondeur de l’environnement. Une fois muni de cette arme, Kirby peut se débarrasser simultanément des adversaires situés sur les deux plans, ou détruire d’éventuels obstacles afin de déblayer la route d’un complice (involontaire) qui transporte une clé en parallèle. De telles manoeuvres génèrent des confrontations rafraîchissantes face aux Boss, dotés en outre de patterns étonnamment élaborés. Dommage que l’on n’ait pas toujours le temps de tous les observer, à l’exception du tout dernier, un peu trop récalcitrant en revanche. Car comme de coutume, cet épisode de Kirby propose un challenge résolument tendre.
Supermassive Blackball
Exception faite de la situation sus-citée, il n’y a quasiment jamais besoin de la ration de nourriture stockable sur l’écran tactile, relégué ici au statut de gadget contrairement aux opus DS. Surtout que Kirby peut compter sur des pouvoirs encore plus dévastateurs, à commencer par la Méganova, le prolongement des Super Pouvoirs de son escapade sur Wii. Il lui suffit d’ingérer un fruit enchanté pour décupler sa force d’aspiration, tel un trou noir, ce qui donne lieu à des séquences de gavage absolument gargantuesques, ou à des phases non moins savoureuses de puzzle. Seul regret, ces baies survitaminées ne poussent pas partout, cantonnant ainsi les crises de boulimie à des sections bien délimitées. Kirby doit donc se débrouiller le reste du temps avec ses pouvoirs classiques, fort heureusement nombreux. La garde-robe d’une vingtaine de costumes issus des précédents opus s’étoffe de la clochette, du cirque, de l’archer et du scarabée (un clin d’oeil à Mushiking ?). Ces talents se démarquent par leur palette de techniques développée, voire leur polyvalence à l’instar des ceux introduits récemment dans sa panoplie. Le scarabée se révèle dangereux au corps à corps mais aussi en vol, tandis que l’archer a loisir de charger ses tirs et de se mettre à couvert. Hélas ces pouvoirs se montrent moins utiles dans le cadre de l’exploration, une petite déconvenue en comparaison de leur rôle clé pour arpenter l’univers tentaculaire d’Amazing Mirror.
Aux fils de l’aventure
La progression de Triple Deluxe se veut plus linéaire, dans le sillage des dernières pérégrinations de Kirby en date. En témoigne la structure de chacune des six îles, formées de quatre ou cinq niveaux que l’on enchaîne avant de se mesurer au Boss. S’y ajoutent les niveaux EX, des épreuves un tantinet plus périlleuses accessibles une fois toutes les gemmes solaires d’un îlot rassemblées. Il faut donc les dénicher en sondant les niveaux, une recherche facilitée par le level design relativement basique. Malgré les topographies escarpées qu’engendre le grand retour de la roue parmi les pouvoirs, cette chasse aux trésors n’oblige que ponctuellement à revisiter le niveaux, pour peu que l’on soit attentif. Quelques gemmes sont cependant en mesure de donner davantage de fil à retordre, en particulier celles liées à des énigmes, dont les mécanismes font régulièrement appel au gyroscope.
Qu’il s’agisse de déplacer une barque accrochée en équilibre sur un fil ou d’incliner des vasques pour arroser des plantes, voilà encore de belles illustrations des élans d’inventivité que HAL Laboratory a mis en oeuvre, sans s’éloigner trop des traditions éprouvées de la série. D’ailleurs les porte-clefs souvenirs récupérés au cours de ces expéditions réagissent également aux mouvements lorsqu’on les admire dans sa collection. Échangeables via le StreetPass, ces quelques 256 grigris plus ou moins rares (et pixellisés) font référence à l’ensemble de l’histoire de Kirby, de ses premières péripéties en noir et blanc jusqu’à cette formidable odyssée florale. Et celle-ci se poursuit une fois de plus après le générique de fin avec le vrai mode Arène (face à l’armada des Boss) et une déclinaison très percutante de l’histoire, depuis un autre point de vue. Compte tenu de ce solide dessert, Triple Deluxe s’impose comme un véritable festin, aussi copieux que les crus Super Star, et suffisamment goûtu pour surprendre le palais des gourmets de la plateforme.