Merci à Nicolas Turcev
Comme un signe de son propre épuisement, l’excentrique créateur nippon Yoko Taro nous livre pour la troisième fois sa vision distordue de l’heroïc-fantasy sur une Playstation 3 en bout de course. L’univers Drakengard – outre son appétence pour la figure du dragon – s’est toujours distingué par sa crudité, sa déviance malsaine et probablement gratuite. Sans jamais tout dévoiler ni vraiment toujours savoir ce qu’il fait, Taro prend un malin plaisir à jongler avec les tabous qui nous hantent au quotidien. C’est son sport. Par-là, ce chirurgien du retournement de cerveau cherche à briser la monotonie des poncifs qui minent le jeu vidéo. Il se les réapproprie pour mieux les tordre, les fondre, les piquer, bref, les torturer.
Malgré l’incartade au pays du drame noir, poisseux et cruel avec son chef d’œuvre Nier, l’homme a concocté avec Drakengard 3 un épisode qui ne déroge pas au détraquement de ses prédécesseurs. Après s’être amusé de l’inceste ou du cannibalisme, la saga plonge désormais dans un maelström bordélique hanté par la folie à l’état brut. Le récit narre l’histoire d’une invoqueuse, Zero, dont le seul et unique but sera de massacrer ses cinq sœurs. Dans cette quête barbare, elle sera accompagnée de son dragon Mikhail, caution saine du casting. Avec sa voix fluette de tête blonde et sa naïveté bienveillante, la figure mythologique d’ordinaire menaçante du cracheur de flammes jure dans une distribution de timbrés. Du sadomasochiste notoire au pervers qui n’en peut plus de mesurer son engin, en passant par un jeune garçon au visage d’ange qui ne vit que pour faire jaillir les boyaux hors du corps de chaque personne qu’il croise, la réalisation n’épargne au joueur que le réalisme visuel auquel elle préfère le kitsch du faux sang et la suggestion hors caméra.
En vérité, en s’armant d’un humour noir et grivois aussi caustique qu’halluciné, Drakengard 3 cherche simplement à ajouter de la démence à la démence afin de justifier comment, mentalement, ses personnages humains peuvent devenir capables de commettre les boucheries carnassières auxquelles ils se livrent. Comme s’il adressait en sous-texte une critique à l’aseptisation obligatoire de la violence dans les jeux vidéo à laquelle il doit se plier pour contenter le public. Comme un pamphlet moqueur envers cette limitation créative qui donne raison à Jean Rostand : « On tue un homme, on est un assassin. On tue des millions d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu. » Alors mission après mission, déchiquetage après déchiquetage, le joueur devient acteur de cette aliénation mentale.
Belle et vénéneuse, Zero est non seulement un modèle de character design, mais on prend malgré tout plaisir à la manier et à tester quelques combos en piochant parmi les armes assignées. D’un point de vue mécanique pure, le switch entre les armes se fait avec naturel et fluidité, qu’il s’opère en plein combo ou non. Ajoutez-y un concept de parades à minuter et le gameplay gagne légèrement en richesse.
Dommage que l’ensemble soit une fois encore terni par des caméras impropres, et des collisions assez étranges où l’on passe le plus clair de son temps à se faire gratter sa jauge de vie sans savoir d’où est parti le coup. Et puis, de toute façon, même pour ceux qui prendront la peine de s’accrocher pour arracher les différentes fins A/B/C/D, le boss ultime et ses patterns musicaux sont tellement craqués, avec des changements d’angle tellement impossibles à anticiper, qu’il vaut mieux faire sa valise et oublier ce mauvais rêve. Un dernier mot enfin sur les voix japonaises vendues 5€ qui refusaient de s’installer, le patch sorti pour la version américaine étant indisponible au moment du test.
L’avancement relève d’un sombrage sans fin dans un océan écarlate de rage irraisonnée. Après s’être découvert une passion de collectionneur d’armes blanches – qui ne le resteront pas longtemps –, nerveusement, instinctivement, on repeint les murs décidément bien ternes du sang de nos ennemis, faute de vaquer à des occupations plus aguicheuses. Puis quand le blanc de la tenue est entièrement teinté, la fureur jaillit sur le monde comme on s’acharne sur la manette. Seulement quand il ne reste plus un seul morceau de chair à émincer, le vide prend le pas sur l’action. Le monde de Drakengard 3 est désincarné, sans âme propre lorsqu’il n’est pas mu par la furie sanguinaire de Zero. On le traverse sans qu’aucune atmosphère n’ait la latitude de se calquer sur la frénésie des effusions. Défini par ses jeux de contrastes tant dans la caractérisation de ses personnages que dans le retournement des stéréotypes, le titre d’Access Games ne prend pas le temps d’instaurer ce dégradé dans son gameplay.
En main, Drakengard 3 est juste brutal, linéaire, répétitif. En dépit de ses quelques carences mécaniques et techniques – que l’on attribuera logiquement au manque de moyens évident –, cette odyssée furieuse parvient tout de même à survolter le débit d’adrénaline pendant quelques joutes épiques au sol ou à dos de dragon, rythmées machinalement par une bande-son colérique. Enfin, en insérant une tonalité plus mélancolique dans ses derniers instants, juste après avoir tutoyé l’enfer et son fatalisme, Drakengard 3 laisse dubitatif : intense, mature, doté d’une véritable vision, il s’avère terriblement pauvre dans l’exécution et la structuration, laquelle ne lui laisse que peu de marge d’optimisation des atouts mis en place. A quand un Drakengard triple A ?